LE BEDEAU

ROGER SERON : LE DERNIER BEDEAU DE GRAND-LEEZ

Issu d'une famille de onze enfants, Roger est né à Grand-Leez en 1899; à 11 ans il se mit au travail, fier de son attelage composé de trois robustes chevaux. On l'imagine maniant magistralement le fouet.

En 1928, il épousa Maria qui fut sa fidèle compagne pendant 57 ans. De cette union, naquirent trois enfants. Les besoins du ménage devenant de plus en plus exigeants, en bon père de famille, Roger s'engagea comme ouvrier d'usine où les salaires étaient nettement supérieurs ; néanmoins, il ne pouvait se passer de grand air et chaque année, il reprenait à la pièce  quelques hectares de petites betteraves à démarier.

Mais l'usine n'était pas faite pour lui : il s'y sentait comme un oiseau en cage ; il changea de métier et devint ferrailleur pour une grande entreprise de construction. Un jour, il fut appelé par notre administration pour remplir le rôle de cantonnier-adjoint : rôle qu'il remplit à la satisfaction de tous jusqu'en 1964.

A l'heure où volontiers on dételle, sans jamais se plaindre, respirant la joie de vivre, Roger redémarra pour un nouveau bail, dans une ferme modèle. Les chevaux avaient disparu et Roger dut se familiariser avec les engins modernes : d'abord, les tracteurs sans cabines ni confort, puis les monstres modernes et bien confortables. Il cessa ses activités lorsque ses vieilles jambes lui jouèrent un mauvais tour.

En 1978, Roger et Maria furent fêtés pour 50 ans de vie commune, vie de travail et de bonheur conjugal. Il disait volontiers quand il rappelait sa vie :" je me suis déplacé à pied, à cheval et en voiture et pour mon dernier voyage, je me suis réservé un corbillard. Et c'est le22 mai 1985 que le corbillard l'amena pour la dernière fois à l'église, cette église qu'il avait tant de fois arpentée de sa démarche majestueuse.

C'était un homme pittoresque : il avait le contact facile et il occupait une grande place dans notre histoire locale. Le dimanche 29 août 1967 le journal Vers l'Avenir faisait paraître un article intitulé " Le Joyeux Bedeau de Grand-Leez fêté pour ses 40 ans de présidence au Comité des Fêtes". Alors que la ducasse battait son plein, la population de notre village réserva à son organisateur de kermesses un accueil bien chaleureux. Aussi, en cette heureuse circonstance, les comités de balle pelote, du football, de la Pédale et de  "Revivre" profitèrent de l'occasion pour offrir au héros de la journée un magnifique fauteuil, gage d'amitié mais aussi de reconnaissance.

Si, pendant 40 ans, notre ami Roger fut le bout-en-train de notre village, il savait aussi créer l'ambiance et ne se faisait pas prier pour mettre tout le monde dans la détente.

Animateur de nos  kermesses communales, la cocarde à la boutonnière, il conduisait le comité de la jeunesse. Avec sa précieuse caisse sous les bras, que de fois il a parcouru les rues de notre localité afin de distribuer après l'aubade des musiciens, ses flouches qu'il confectionnait avec son épouse, pendant les longues soirées d'hiver!

Il était là, lorsque "La Pédale" fut formée et il se dévoua pour son club jusqu'à sa dissolution. Toutes les sociétés l'ont sollicité et chaque fois il a répondu présent. Il ne savait rien refuser à tel point que pour faire plaisir, il toucha un peu à la politique! On se rappellera également quil était le tireur des "chambres" lors de certaines manifestations bruyantes.

A partir de 1947, on pouvait le rencontrer le dimanche, comme aux jours de fête, officiant comme suisse dans notre église ; il savait y faire régner l'ordre tout en restant souriant. Il se faisait un point d'honneur à réussir une cérémonie, une procession et plus spécialement le pélérinage de Beauraing où il représentait la paroisse, en tenue de cérémonie.

Toujours tiré à quatre épingles, costumes impeccable, gants blancs, hallebarde étincelante, chapeau emplumé, il était fier comme Artaban, mais ce qui faisait sa superbe, c'était sa moustache rousse : il avait un malin plaisir à la retrousser, poussant même la coquetterie jusqu'à y mettre de la laque afin de la maintenir rigide.

Quand Roger cessa ses fonctions de Bedeau, il ne fut pas remplacé : ce qui lui faisait dire : "D'ja s'ti l'derrin bèdeau d'Grand-Leez".

Dans sa 86ème année, cette figure disparaît, sympathique et attachante!

 

Source : CNE,2,6,1985

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