Petite histoire, celle de Grand-Leez
Ce récit est extrait du Courrier de " l'Entre-Sambre et Dyle ".
Le Courrier a été fondé en 1880.
Cet hebdomadaire était imprimé chez J. Duculot à Gembloux.
Ce journal régional cessa de paraître en 1964... Le n° coûtait 1 fr 75 !
*
Petite histoire, celle de Grand-Leez.
Dans cette région dénuée de tout pittoresque, mais où les champs et les prés alternent si agréablement avec les boqueteaux et les bois, on peut s'imaginer ce qu'était le paysage aux époques préhistoriques. Il devait être grandiose, monotone, impressionnant. Dans cette petite parcelle de l'immense forêt continentale, que traversait une rivière pareille à un fleuve, mais réduite peu à peu aux proportions de l'Orneau, des monstres s'ébattaient dans l'épaisseur des fourrés, où dans les marais aux eaux glauques. Ces prodigieux sauriens, dont quelques squelettes furent découverts il y a un siècle à Bernissart, nous pouvons nous imaginer qu'un jour, une douzaine d'entre eux s'étendirent dans une petite clairière, aujourd'hui la place communale. A condition de se serrer un peu, ils l'occupaient toute entière. Leur poids pouvaient atteindre les quarantes tonnes, leur volume étant en proportion. Dans l'argile et l'humus environnant, leurs pattes devaient faire les dépressions où tiendraient nos "deux chevaux". Comment s'éteignirent ces diverses espèces de grands sauriens, des dizaines de millénaires avant la disparition dans notre pays du mammouth et de l'auroch, du rhinocéros, de l'hyène et de l'ours? Assurément à cause de la transformation radicale du climat. Quant aux énormes sauriens de l'âge tertiaire, la paléontologie attribue leur disparition aux petits rongeurs, qui auraient détruits leurs oeufs.
L'homme primitif est contemporain des redoutables mammifères cités plus haut. Pour se garantir d'eux, sans doute autant que de ses semblables, il vivait dans les grottes et cavernes, ou dans des huttes juchées sur pilotis. Au bord de certains lacs suisses, récemment on a découvert quelques vestiges de ces derniers habitats ; et à Spy comme en bien d'autres lieux, les traces de l'homme des cavernes ainsi que de son industrie. Sur le territoire de Grand-Leez, on a mis à jour quelques témoignages des trois âges de la pierre, et d'autres tout récents par comparaison, puisque ils sont de l'époque gallo-romaine.
Maintenant, si nous ouvrons un vieux dictionnaire des communes belges, nous y lisons ce qui suit : Grand-Leez, commune de la province de Namur, à 20km de Namur, 6km de Gembloux et de Liernu. Population 1507 habitants. Superficie 1289 hectares. Terrain ondulé, sol argileux, agriculture, coutellerie, briqueterie, brasserie. Ces industries locales ont disparu ; et la population encore sensiblement plus importante sous le règne de Léopold I, est demeurée stationnaire depuis le début du siècle présent.
Grand-Leez constituait déjà une agglomération, à l'époque gallo-romaine, et peut-être antérieurement. En 1905, on y a découvert, quelques tombes des premiers siècle de l'ère chrétienne. Sans doute la première église, qui n'était vraisemblablement qu'une chapelle, fut-elle bâtie sur l'emplacement de l'actuelle église paroissiale, mais le fait qu'on ignore tout de ce qui la précéda, et aussi pour quelle raison elle fut édifiée en 1786, c'est-à-dire à une époque éminemment défavorable, sous le règne de Joseph II, le roi-sacristain, qui fit grand tort pécuniaire aux moines et au clergé. Or c'était des moines qui assumaient le ministère paroissial à Grand-Leez ; et soit que l'église fut devenue trop petite, soit qu'elle eut été détruite par un incendie, les moines relevant alors de l'abbaye de Lobbes, relevèrent la maison de Dieu sans nul souci traditionnel de faste et de beauté, en raison de l'insuffisance des fonds nécessaires.
Le seuil de l'église est à 150 mètres au-dessus du niveau de la mer. Elle domine la plaine occidentale, et le bois commmunal que traverse la route menant à Aische-en-Refail, n'a plus que le tiers de sa superficie sous l'ancien régime, soit cent hectares.
Grand-Leez figure dans le fameux polyptique de Lobbes en 868. Y figurent en 1197 Francon de Laiz et son frère Régnier, comme témoin dans une charte de Godefroid, duc de Lotharingie et comte de Louvain, en faveur de l'abbaye d'Afflighem. La famille seigneuriale de Grand-Leez s'est éteinte dès la fin du XIIIème siècle. Quant au nom du village, il paraît provenir de less, qui en vieux saxon signifiait prairie ; à moins que ce ne soit du celtique leis, qui signifie humide, mouillé. Cette dernière désignation toponymique caractérise mieux le terrain, jadis couvert de marais et d'étang. On estime qu'ils s'étendirent sur des centaines d'hectares de la petite région. Il y avait voici pas mal de siècles, un grand lac qui, des confins du territoire de Grand-Leez, s'étendait jusqu'à proximité d'Aische-en-Refail et de Gembloux. Des vestiges de ce lac et des nombreux marais subsistaient encore au début du présent siècle. Les enfants y patinaient ; durant les nuits d'été les grenouilles y donnaient d'insupportables concerts. Sur une grande parcelle asséchée on distingue encore l'emplacement du petit château-fort ayant appartenu aux comtes de Looz.
Bâti par on ne sait quel seigneur, entouré de douves qu'on franchissait assurément sur un pont levis, ce qui subsistait fut abattu voici plus d'un siècle. Ses murs d'une épaisseur considérable, et ses autres matériaux, servirent à exhausser de plusieurs pieds le terrain environnant. Non loin se trouvait le moulin à eau, le moulin banal, dont il est question dès le Xième siècle. La flore de ces marais était riche et variée, et aussi la faune. Poules d'eau, sarcelles, bécassines et même loutres y abondaient.
Favorablement située entre Gembloux et Perwez, qui sont au nombre des agglomérations d'origine celtique de notre pays, Grand-Leez dont le sol était fertile, et qui se trouvait près de la grande chaussée romaine, fut raidement colonisée, ainsi que nous l'avons dit. On y a trouvé des puits d'extraction de la marne et du fer. D'où l'ancien nom de "bois des fosses", près desquelles on a mis à jour deux tumuli, nivelés depuis longtemps. Dans l'un d'eux on découvrit des débris de poterie sans grand intérêt. L'abondance de la terre platique avait suscité une petite industrie locale de la poterie, comme le prouve la découverte d'un autre gisement d'objets divers, tels que pots, tuiles, écuelles,etc...enfouis non loin du château-ferme de Petit-Leez.
Au nord-est de Grand-Leez, est-il dit dans une brochure de la Société namuroise d'archéologie, le Bois qui porte le nom local a enfermé nombre de monticules, avec constructions de l'époque romaine, des substructures de même origine ont été découvertes aux lieux dit Maugré et Laid Maule. Résumons, conclut l'auteur de cette brochure, les découvertes d'habitations romaines : Je puis en compter trente-neuf dans un rayon de deux kilomètres ; à partir du grand marais de Grand-Leez et du petit marais de Ptit-Leez ; savoir onze à Grand-leez, une à Lonzée, cinq à Meux, une à Liernu, quatre à Aische-en-Refail, sept à Sauvenière, sept à Thorembais-Saint-Trond et trois au lieu dit Josselette à Perwez.
Des huit orthographes qui servirent à désigner l'agglomération au cours des siècles, c'est la toute première qui finalement prévalut. A partir de 1173, les documents révèlent l'existence de Petit-Leez, mais ce n'est qu'au 17ème siècle que s'établit l'usage d'appliquer le nom de Grand-Leez à tout le territoire paroissial, au lieu de Leez tout court.
Après les sires Francon et Régnier de 1197, figurent dans les archives Jean de Leez, Béranger de Leez et Henri qui fut évêque de Liège. Ce dernier mourut à Pavie, et son corps fut ramené, inhumé dans la cathédrale Saint Lambert. Ledit évêque légua au prieuré de Basse-Wavre l'église de Laiz, avec sa dot, ses dîmes et dépendances. Le prieuré ne conserva pas longtemps ce bien. En 1175, il le céda à l'abbaye de Floreffe. La cession se fit par échange. Les moines de Floreffe confièrent le ministère paroissial à l'un d'eux, et ils veillèrent à faire fructifier leur petit domaine, évitant de heurter les seigneurs et d'indisposer les manants de la région.
Il n'est pas inutile de rappeler qu'à l'époque des grands biens fonciers ecclésiastiques, c'est l'Eglise qui assumait les charges sociales, et que c'est à l'habileté, à la science, au courage des "moines d'Occident" que l'on doit le défrichage des landes, la mise en valeur des terres fécondes de nos pays. Ils assumaient également la charge des hopitaux ou maladreries, l'enseignement scolaire et les secours aux indigents. En 1173, Henri de Leez fit donation à l'abbaye de Floreffe de "deux cents bonniers" de bois sis à Grand-Leez", moyennant la redevance de huit sous quatre deniers. Cette donation se fit par la main de Godefroid III, duc de Brabant. Mais après la mort de ce prince, survenue en 1190, les manants de Leiz, voyant que l'abbaye faisait exploiter ce bien sylvestre sans tenir compte du droit de mort bois qui leur avait été reconnu antérieurement, protestèrent auprès d'Henry I, duc de Brabant. Celui-ci entendit les parties et mit fin au conflit par un accord., Il fut convenu que l'abbaye pourrait défricher, transformer en culture cent bonniers de la forêt ; et que dans les cent autres bonniers, les seuls paroissiens de Grand-Leez bénéficieraient du mort bois. Daté de 1191, l'acte eut de nombreux témoins, dont Henri de Grand-Leez "de Majori Leiz" et Henri de Petit-Leez "de Minori Leiz". Telle est selon toute vraisemblance, l'origine des actuelles parts de bois, dont l'usage s'est perpétué de siècle en siècle, nonobstant des différences de régime. On sait que les mesures agraires et autres, variaient de région en région. C'est ainsi que le bonnier équivalant à un hectare quarante ares dans la Flandre Française, ne représentait que 88 ares dans le pays de Gembloux.
Henri de Grand-Leez eut trois fils, dont un prit le froc à l'abbaye de Villers. Un autre armé chevalier, parti pour la Croisade, d'où l'on ne sait s'il revint. Dans les vieux parchemins, il est aussi question d'un Thomas de Leez, qui fit don à l'abbaye de Floreffe de la moitié du trieu, appelé le "clair bos". Sont également cités à divers titres Régnier, Walter de Leez qui fut prieur de Floreffe de 1280 à 1289, et qui mourut en 1303. Le nom seigneurial disparaît à la fin du XIVème siècle.
Il semble que Grand-Leez n'eut pas à pâtir des guerres de religion, non plus que de celles du "siècle de malheur". Mais le "brûlement" des villes, bourgs et villages était une chose, l'occupation par la soldatesque mercenaire en était une autre, voire son simple passage, accompagné de pilleries et autres excès. Si la paix n'était point signée au terme de la belle saison, le plus souvent les troupes prenaient leurs quartiers d'hiver dans la région à la fois la plus proche et la plus favorable, vivant sur l'habitant, son grenier, son étable, sa basse-cour...Deux fois tout juste en cent ans, Neerwinden aux confins de la Hesbaye eut le désagrément et l'honneur d'entrer dans l'Histoire. En 1693 le maréchal de Luxembourg y vainquit Guillaume d'Orange, roi d'Angleterre ; et en 1793 Dumouriez y fut battu par les Autrichiens. Et c'avait été Jemappes l'année précédente, ce fut Fleurus l'année suivante ; puis notre "libération", l'occupation de nos provinces, leur mise en coupe réglée, la persécution à laquelle l'Empire substitua la conscription.
Sous la République, les biens d'Eglise et les biens nobles étant vendu à vil prix, l'église paroissiale de Grand-Leez fut achetée par un cultivateur nommé Nivaille qui, pour n'être point soupçonné de la détenir jusqu'à l'éventuel rétablissement du culte, l'utilisa comme fenil et grenier. Lors du Concordat, il fit donation de ce bien noir à l'évêché de Namur qui s'était trouvé sans titulaire durant la tourmente. L'évêque s'était réfugié en Rhénanie, et tant bien que mal dans la clandestinité, l'abbé Stevens avait assumé les fonctions administratives. On sait que, plus catholique que le Pape, jamais l'abbé Stevens ne reconnut les clauses du Concordat, et que de son intransigeance naquit un schisme, lequel ne fut complètement résorbé qu'après la deuxième grande guerre mondiale.
D'après une tradition qui est vivace à Grand-Leez, durant les années de traque à la "superstition", le desservant paroissial n'abandonna pas ses ouailles. La population assumait sa sureté. Quans était signalé Pandore, il prenait le large par sentiers et boqueteaux. il advint cependant que la maréchaussée le manquât de justesse, et que trouvant le nid vide mais encore chaud; Sacré bougre, grommelait le chef de patrouille, il est encore une fois parvenu à s'envoler !
Grand-Leez paya un lourd tribu à la gloire militaire de Napoléon. Dans le dossier municipal, transféré voici quelques années aux archives provinciales de Namur, figurent le nom d'une vingtaine de braves, morts pour la plupart en Espagne ou en Russie, ou décédés dans un hopital de France oud'Allemagne, des suites de leurs blessures. Comme ailleurs au déclin de l'Empire, les réfractaires à la conscrition se firent de plus en plus nombreux. La population leur prêtait aide ; et celle de Perwez par exemple, les ravitaillait nuitamment dans le bois de Buis.
Lors de la première campagne de France, celle de 1814, des troupes russes et saxonnes cantonnèrent à Grand-Leez. Il est possible que les Cosaques chapardèrent de la chandelle, attendu qu'ils en étaient étrangement friands, mais aucun excès ne fut commis par ces cavaliers et cette piétaille, dont l'intendance paya les réquisitions : Douze francs pour un porc, soixante pour un bovidé, d'après les bons municipaux conservés aux archives de Namur...
L'année suivante,-Quatre-Bras, Ligny, Waterloo-des unités prussiennes et des dragons français cantonnèrent à Grand-Leez. Cette fois il y eut des plaintes au sujet de ceux-çi et de ceux-là. Le jour de la suprême mêlée, c'est-à-dire le 18 juin, parce qu'un violent orage avait éclaté durant la nuit et que le terrain était détrempé, la bataille ne s'engagea qu'à onze heures du matin. A ce moment, des troupes de Grouchy et de Van Damme passèrent par Grand-Leez, et par le vieux chemin de Wavre elles se dirigèrent vers le champs de bataille. On sait qu'au lieu de "marcher au canon", Grouchy se perdit à la recherche des Prussiens, qui eux arrivèrent à temps pour soutenir les Anglais et les Hollando-Belges, et pour les aider à donner le coup de grâce à l'Empire. De nombreux blessés furent hospitalisés à Grand-Leez, où les Prussiens réquisitionnèrent fermiers et attelages, pour le transport jusque dans le pays de Liège, des invalides et du matériel.
Le traité de Vienne ayant recréé les grands Pays-Bas, le régime hollandais s'établit chez nous dans le calme ; les populations villageoises n'eurent pas à se plaindre. Quand à Bruxelles éclata la révolution de 1830, Grand-Leez ne s'émut guère. Dans les registres communaux, il n'est même pas question du changement de régime qui s'ensuivit. On y constate seulement qu'après un dernier arrêté royal débutant par "Nous, Guillaume, roi des Pays-Bas", en vient un premier au nom de "Nous, Léopold, roi des Belges". A la chute de l'Empire, M. le curé de Grand-Leez avait chanté le Te Deum ; mais cet office d'action de grâces ne fut pas célébré le 21 juillet 1831. N'y voyons pas hostilité ou manque de patriotisme. A cette époque dans les campagnes, le patriotisme était bien plus un sentiment de clocher qu'un sentiment de nation. Il n'est pas sûr que le monde ait eu beaucoup à gagner au changement...
Ensuite, et en dépit des querelles politiques dans le pays, la vie à Grand-Leez fut paisible. Paisible sinon facile, car souvent les profits étaient minces, et toujours bas les salaires, celui du journalier et du coutelier. Un journalier, parfois surchargé de famille, gagnait l'équivalent pécuniaire de quatre pains. Durant la crise économique des années 1850, sans doute en Hesbaye comme ailleurs, on vendit de la viande de chien à six centimes la livre...
Dans une brochure publiée en 1881, le docteur Nihoul, médecin à Grand-Leez, révèle qu'à partir de 1845, les vaches étaient utilisées comme bêtes de trait dans les travaux des champs. Quarante ans plus tard, les engrais chimiques firent leur apparition, surtout pour la culture du lin et de la betterave. Quelques cultivateurs avaient drainé des pièces de terre, écrit le docteur Nihoul que nous allons citer longuement, et ils en avaient retirés de bons effets. Il y avait alors dans la commune, trois abreuvoirs et six fontaines publiques. L'eau en est de bonne qualité, dit notre précieux témoin, qui ajoute un peu naïvement : "elle est reconnue par nos ménagères bonne aux différents usages de la vie, d'une agréable fraîcheur, transparente, et présentant toutes les qualités requises comme boisson". Notre climat, aussi bien que la terre que nous habitons, que l'air que nous respirons, que les eaux qui nous avoisinent a une influence très grande sur la santé. Depuis les temps les plus reculés, cette vérité a été reconnue. Et plus loin il remarque : " Les ouragans sont rares, peu violents. Les trombes d'air exercent rarement des dégats. Les orages sont assez fréquents, mais ils causent moins de dommages que du côté de la Sambre, de la Meuse et de la Mehaigne. La foudre, si puissante dans ses effets, si terrible pour l'homme, exerce rarement des ravages". On peut dire qu'il en est de même actuellement.
Grand-Leez, dit encore le bon docteur Nihoul, était loin d'être à l'époque de mon arrivée en 1869, ce qu'il est aujourd'hui après vingt-deux ans, ce qu'il était sous le rapport des haitations et des chemins.
A part quelques maisons commodément construites, appartenant à quelques familles aisées, les autres étaient généralement en bois et en torchis et couvertes de chaume. Elles étaient mal aérées, remplie et entourées de détritus de toutes sortes. La plupart des chemins n'étaient pas pavés, et n'avaient pas d'égouts pour l'écoulement des eaux et des ordures. Aussi quand survenait la pluie et la fonte des neiges, les ruelles étaient transformées en cloaques infects. La boue, contenant des matières végétales putréfiées et des déjections de toutes sortes, couvrait tellement le sol que la circulation devenait difficile. Il s'exhalait de ces chemins, sans cesse remués et piétinés par le passage des chevaux et des chariots, de notables quantités de carbure hydrique et de miasmes putrides, dont l'action dse caractérisait sur l'économie animale 1° par des névroses périodiques, 2° par une altération plus ou moins profonde du sang, 3° par des affections de nature infectueuse. A l'époque dont je viens de parler, le typhus était endémique à Grand-Leez.
Sans doute le docteur Nihoul parvint-il à secouer les apathies, à ébranler la coutume et l'usage. Des travaux d'utilité publique, et d'une certaine importance, furent effectués durant le dernier tiers du siècle. On pava et empierra de nombreux chemins dans la commune, et depuis le seuil des maisons on y eut accès. Mais faites pour la plupart de matériaux très inflammables, ainsi que nous l'avons dit, ces maisons en certains endroits étaient si rapprochées, qu'un simple feu de cheminée risquait de provoquer un vaste incendie. C'est ce qu'il advint au Vilcran, où de proche en proche le feu anéantit une centaine de maisons. Ce sinistre eut son heureuse contrepartie. Les misérables immeubles incendiés furent reconstruits en brique, toiturés en tuile, et peu à peu disparurent également ailleurs les chaumières. Néanmoins, voici le triste tableau que de l'habitat en son temps, trace le docteur Nihoul : "Dans la plupart de nos demeures ouvrières, il n'existe qu'une chambre à coucher pour les parents et les enfants. J'ai vu là trois où quatre lits, pressés les uns contre les autres. La literie, tant sous le rapport de la salubrité que du bien-être, se trouve dans un misérable état. La garniture se compose ordinairement 1° d'une paillasse dont la paille souvent corrompue, répand dans la chambre une odeur repoussante, 2° de draps non remués, souvent en lambeaux, rarement lavés, et jamais exposés à l'air du dehors...Dans beaucoup d'habitations il n'existe pas de pavage. Le sol est seulement recouvert d'une couche d'argile, rendue plus ou moins dure par la préparation qu'on lui fait subir. Ce système présente plusieurs inconvénients. Aucun lavage ne peut être effectué. Les saletés, les dépôts fétides qui se logent dans les fissures, et les porosités que ce sol présente, sont difficilement détachées. Dans certaines chambres à coucher, on trouve des immondices, des légumes etc...Il existe beaucoup de cours, où les matières excrémentielles sont tout simplement déposées avec d'autres débris dans des fosses à ciel ouvert, ayant à peine quatre ou cinq pieds de profondeur".
Rebâtie en brique sous Joseph II, d'apparence extérieure ingrate, l'église de Grand-Leez est à nefs latérales, et contient deux douzaine de plâtres affligeantes, dont quelques-un adossés aux colonnes, semblent accueillir le visiteur. Rien de très remarquable ne retiendra son attention à part une statue polychrome de Saint-Amand, patron de la paroise, le maître-autel en marbre qui paraît être du XVIIIème, et deux grandes toiles de Portaels, non sans mérite. Tout de même, à citer aussi le chêne sculpté : 4 confessionnaux, banc de communion, lambris du choeur. Jusqu'en 1950, celui-ci conserva sa décoration murale aux ors éteints, aux teints sombres et délicates, empoussiérées par le temps. Des vitraux dont on ne dit rien, mais de bonnes orgues, réparées peu après la deuxième guerre. Aux grands jours lithurgiques, flamboie un splendide ostensoir du XVIIIème siècle, et pour les mêmes jours il y a également dans la sacristie d'assez exceptionnels ornements sacerdocaux. Quant aux pierres tombales, nul ne leur ayant prêté intérêt, celles demeurées inscrites dans le dallage intérieur ont perdu tout relief ; et celles qui par hasard subsistent encore, dans le vieux cimetère, ne portent pas un nom subsistant à Grand-Leez. Il y a toujours des Baquet, des Montfort, dont les noms figurent aux archives de Namur, respectivement à partir du XVIè et du XVIIè siècle. Sans doute en est-il d'autres encore et peut-être même plus anciens que les deux cités. On n'aura que la peine de se rendre à la source, et d'y plonger des mains préalablement gantées, car rien ne conserve mieux les papiers jaunis, à l'écriture roussie, que la poussière administrative!...
En 1865, soit trente ans après le premier chemin de fer belge, Bruxelles-Malines, fut établie la ligne Gembloux-Perwez-Landen. Sur le territoire de Grand-Leez il était prévu que le rail passerait à proximité de la Couverterie. Mais au nom de la population, les autorités communales protestèrent avec véhémence, alléguant comme ailleurs la santé publique, la sérénité du bétail, la propreté des pâtures et des champs. Evidemment, on ne pouvait tenir compte que du premier motif ; etc'est ce que l'on fit, au grand dommage des usagers du train, qui jusqu'à son remplacement par l'autobus voci peu, durent s'imposer les trois kilomètres du chemin de la gare, située sur le territoire de Thorembais-Saint-Trond.
Nous avons cité la Couverterie, ferme jadis abbatiale située au premier tiers du-dit chemin. Les serres environnantes auraient été défrichées au XIème siècle par les religieux de l'abbaye d'Afflighem. Probablement aussi dès la même époque, celles de la ferme du ci-devant château fort, la ferme de l'Espinette serait du XIVème siècle. Rien non plus toutefois ne peut l'authentifier chronologiquement. L'est en revanche dans son état présent et par ses fers d'ancre, la ferme-château de Petit-Leez. Elle est remarquable par ses belles proportions, par ses tours carrées, par ses corps de bâtiment dont portes et fenêtres sont encadrées de la pierre de taille et où l'on voit les armoiries des fondateurs en 1618, sous le règne d'Albert et d'Isabelle. Là comme à la ferme Joseph Nazé du château fort, les bâtisseurs n'hésitèrent pas à construire près des marais. En notre siècle de la poutrelle et du béton, on ne fait pas mieux ni plus solide qu'ils ne firent avec les chênes séculaires des sylses disparues, avec les grosses briques pétries de main d'homme, avec le mortier : à la paille de seigle.
Ici, à Grand-Leez, remarque encore le docteur Nihoul, le goût de la musique est fort prononcé. Une société d'harmonie, vieille de plus de quarante ans est là pour l'attester. Cette société a disparu pour diverses raisons auxquelles la radio-diffusion et la télé, ainsi que les manifestations sportives en tous lieux, ne sont évidemment pas étrangères. En raison des moyens véhiculaires de s'évader, toujours plus nombreux et plus répandus, le besoin d'évasion s'est peu à peu communiqué de la grande à la petite ville, et au village.
Peut-être certaines pratiques religio-superstitieuses n'ont elles pas complètement disparu, mais on ne croit plus aux sorciers et aux sorts, comme c'était encore le cas dans maintes familles, du temps que le docteur Nihoul pratiquait à Grand-Leez. "Ces croyances sont tellement enracinées dans les esprits, prétend-il, qu'il est difficile pour ne pas dire impossible de les extirper". Celle ayant trait aux sorcières de Lonzée, notamment. Leurs faits et gestes demeurent bien connus dans notre région. Voici le témoignage du docteur à leur propos : "Elles faisaient autrefois leurs assemblées nocturnes dans la campagne des Six justices, située sur le territoire de Grand-Leez, à un endroit très rapproché de Meux, de Lonzée, de Saint-Denis, de Sauvenière. Ce champ, malgré la grande fertilité du sol, resta inculte jusqu'à la fin du siècle dernier. Les vieillards instruits par leurs aïeux, m'ont raconté qu'on voyait autrefois dans ces campagnes beaucoup de buissons et un poteau en bois, auquel on attachait ceux qui s'étaient rendus coupables de certains délits. C'était sans doute le lieu où se faisait la Justice des communes dont il vient d'être question. La situation et le lieu de ce champ, prête assez bien à cette supposition. C'est là que sorciers et sorcières se livraient à des danses, à des bonds, à des courbes furibondes ; le tout accompagné d'étourdissantes criailleries. Ces vacarmes étaient parfaitement entendus de Grand-Leez, et ils devaient l'être également des communes précitées. Ces clameurs, disent nos vieillards, répandaient la terreur dans nos environs. il est impossible de se figurer les fables inventées par nos anciens sur les faits et gestes des sorcières de Lonzée. Ces histoires se sont propagées de proche en proche, en empruntant toujours de nouveaus embellissements. Et le docteur fait allusion à la fable de la Fontaine, où il est question de l'oeuf pondu par un campagnard. A vrai dire on croyait beaucoup trop aux manifestations diaboliques, du temps que les feux follets pasaient pour des âmes en peine ; à présent que le Malin a la malice d'être dicret, on l'appelle Hasard ou de tout autre nom, qui exclut jusqu'à la notion même de son existence. On est toujours crédule, encore que très diff"remment!...
Pour des raisons connues de tous et qui sont de partout, les petites exploitations fermières disparaissent rapidement. Depuis la deuxième guerre, leur nombre est réduit environ de moitié ; et de plus en plus la pâture tend à se substituer aux cultures. En cette fin d'année 1963 l'indispensable remembrement des terres est en voie de réalisation ; ainsi que le "plan vert", qui donnera au village une ornementation végétale où l'herbe folle et le orties n'auront plus aucune part!
Deux moulins à vent l'un a perdu ses ailes, et l'aute bâti en 1833 les aretrouvées, en ce sens qu'on la pourvu de celles d'un moulin désaffecté de la Campine brabançonne. Il est un charme du paysage Mais hélas, les derniers moulins ne tracent plus sur le ciel leurs grands signes de croix...
Le vieux moulin de Grand-Leez ne tourne pas, ne tourne plus. Mais il est là-bas sur sa butte, comme là-haut le coq d'or au sommet du clocher. L'un symbolise le travail, l'autre appelle à la prière, tandis qu'un peu plus loin dans le champ du repos, et dans la paix inévitablement recouvrée, dorment les morts...
Source : CN53,1293/CN54,594/CN55,794/CN56,1094
ACCUEIL |